Pourquoi les sociétés avancées souffrent-elles d'une pénurie de temps au beau milieu d'une abondance de biens ?

Au cours des 50 dernières années, l'accès aux biens de consommation s'est considérablement amélioré, mais les occidentaux ne paraissent pas plus heureux pour autant.
C'est le paradoxe du bonheur.
La thèse défendue dans "le Manifeste pour le bonheur" est que les effets positifs sur le bien-être, fruits de l'amélioration des conditions économiques, ont été annulés par les effets négatifs d'une dégradation des relations humaines. La régression du bonheur est largement corrélée à la pauvreté relationnelle.

4 forces agissent sur le bonheur en des directions opposées.

Force positive
  • L'augmentation du revenu par habitant
Forces négatives
  • Diminution des biens relationnels (ou capital social : toute forme de lien non économique entre les individus d'une part et entre les individus et les institutions d'autre part)
  • Diminution de la confiance dans les institutions (gouvernement, banques, syndicats, presse...)
  • Rivalité ostentatoire accrue : comparaison sociale permanente avec les autres et singulièrement les plus riches que soi
Le résultat de ces forces aboutit à une diminution constante du bonheur chez les gens.
Plus le revenu augmente plus les forces négatives augmentent et annulent le bienfait de meilleures conditions économiques sur le bonheur ressenti

Cet effet a été appelée la "croissance endogène négative"
Il est fondée sur 3 hypothèses :
  1. il y a des biens libres ou gratuits, que l'on ne peut acheter mais qui sont indispensables au bien-être (amitiés, relations humaines, espaces verts, eau, air pur...)
  2. l'économie possède une grande capacité à fournir des substituts coûteux aux biens libres (piscine plutot que rivière propre, internet plutôt que rencontres humaines, une caméra plutôt que la confiance...)
  3. la croissance économique réduit l'accès à ces biens libres en les détruisant (ou en interdisant leur accès)

Un cercle vicieux

La transformation des biens communs libres en substituts coûteux et privés influent négativement sur notre bonheur.
=> Pour nous défendre contre cette dégradation environnementale et sociale, nous devons (sommes incités par la publicité à) acheter la compensation.
Naturellement, pour financer ces dépenses "défensives", nous devons travailler plus. En d'autres termes, les efforts que nous déployons pour nous défendre contre la dégradation des biens libres contribuent à l'augmentation du PIB.
=> Par conséquent, la dégradation contribue à la croissance !!
La croissance quant à elle dégrade
  • l'environnement
    • c'est assez évident pour les biens communs, air et eau propre, biodiversité, nature accessible... ce qui en rebond les rend moins accessible pour tous et donc favorise leurs alternatives payantes et privées
  • et les relations humaines
    • moins évident au premier regard : la création d'un cadre consumériste où tout besoin se solde par un achat place les personnes dans un système de valeurs
      • qui favorise l'avoir plutôt que l'être, la comparaison plutôt que le partage, la compétition plutôt que la coopération, l'argent plutôt que le "don"...
      • qui insécurise, fait craindre une accaparation des ressources par "l'autre"
      • qui crée frustration, perte du sentiment d'autonomie et désengage les gens de leurs motivations intrinsèques
=> Les relations humaines étant moindres et l'environnement global stressant, notre bonheur ressenti chute et nous invite à "consommer" pour compenser...
LA BOUCLE EST FERMEE ;-(

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"Je suis publicitaire. Vous faire baver, tel est mon sacerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas"
Frédéric Beigbeder